A Paco de Lucia
A Paco de Lucia , mon ami que je n’ai pas connu.
Paco , je vais commencer par te tutoyer car bien que ne t’ayant jamais rencontré je t’ai croisé souvent .
Tu es partout encore aujourd’hui , tu occupes l’espace, mes pensées, et celles de tant de musiciens partout dans le monde.
J’a eu envie de parler toi de là ou je me trouve : de ma perspective de musicien , d’artiste.
Depuis mon point de vue d’homme aussi bien entendu !
Tu es entré dans ma vie par la plus grande des portes : celle du coeur .
Il n’y a pas un jour ou je t ‘écoute , où je t’entends .
Tu as réalisé ce que parfois les grands musiciens réalisent : ils « interprètent » la beauté et la perfection de la nature , lui offrent la possibilité d’être visible ou audible par les hommes aveugles et sourds non pas du fait qu’il ne sont pas dotés de sens mais parce-que la beauté a parfois besoin d’un "interprète" ou d’un medium pour resplendir vraiment dans toutes ses dimensions .
L’univers parle une langue étrange, qu’on ne comprend pas toujours , tu le sais bien toi…
Paco : je t’ai souvent rencontré dans mes rêves , tu m’as appris le placement des doigts , la technique de la main droite et tant de choses .
Je parle à vous tous , public et mélomanes à présent : je veux vous dire que Paco de Lucia est d’abord une âme destinée au labeur . Le labeur du musicien qui va au fond de la mine. Sur ce chemin là , point de possibilité de tricher . Il faut s’assoir en toute humilité , interpréter la grandeur devant soi , et se dire qu’on sera l’un un de ceux qui traduisent le « message » , avec abnégation.
Paco s’est consacré à la musique . Il est allé là ou peu de musiciens s’aventurent : vers l’exigence , vers le dévouement , vers l’absolue maitrise , parfois 12 heure par jour , ce qui au final a fait de lui un être capable de dialoguer avec les fréquences, les sons, les rythmes, les harmonies . Dialoguer avec ses semblables est par contre une tache plus difficile , Paco est un taiseux comme le sont ceux qui considèrent que le langage verbal est un des moyens de communiquer mais pas le seul même s’il est « consacré » la plupart du temps.
Paco a été immensément chanceux et maudit . Chanceux car capable de voir de l’autre coté, d’entendre la voix de l’univers qui lui parlait à l’oreille . Maudit car désigné pour faire ce travail de bénédictin si ardu toute une vie : aller décoder le « message » et l’offrir au commun des mortels ça demande un engagement total de chaque instant.
Paco : tu as eu la musique comme moyen de parler des astres, des galaxies, de la terre et de la mer. L’important et tu le sais bien ,c’est ce qu’elle dit ta guitare, ce qu’elle raconte, l’important ce n’est pas tant la guitare mais ce qu’il y a à l’intérieur.
Dans tes notes et dans tes sonorités je vois l’homme que tu as été : un être qui exigeait la lumière, non pas celle des clairs -obscurs mais la pleine lumière qui éclaire le juste et le vrai .
Comme j’aurais aimé te connaitre de ton vivant! : je suis sur que j’aurais compris sans que tu parles , juste en voyant tes yeux .
A la fin de ta vie ton air mélancolique en dit long . Il dit l’envers du décor , tes failles , tes amours déçus , ta maison que tu as si souvent abandonné pour partir aux quatre coins du monde.
Ton regard traduit la solitude , celle ou tu t‘es abandonné une vie durant pour servir la grande , la belle , l’authentique et sacrée, celle qui t’as damné et qui t’as illuminé dans le même temps : la musique.
Avec toi la musique n’est pas que la musique: c’est une trajectoire , une source , un aimant qui t’attire irrémédiablement vers l’inconnu . Vers l’ailleurs.
Pour s’embarquer sur le navire ou tu t’es embarqué il t’en a surement fallu du courage ! C’est un aller sans retour . C’est une destination nouvelle.
Il y a eu les tempêtes des doutes , les notes douloureuses sous les doigts , la métrique implacable qui est un maitre absolu, la corde qu’il a fallu retendre encore et encore tel Sisyphe et la maitrise de soi necessaire en toute circonstance.
Je me suis abreuvé à ta fontaine , celle que tu as fait couler , celle du triomphe de toutes ces difficultés que tu as surmontées .
J’ai vu la puissance d’évocation du flamenco , qui n’est autre comme tu le disais que la « frenesie de la vie » , le désir immense , une révérence à l’existence.
Le flamenco avec sa rythmique qui est son moteur , sa pulsion , dit le monde dans ses nuances , dans ses déclinaisons , dans sa complexité infinie.
Paco , j’ai vu dans mon rêve ton âme : celle d’un enfant au service du jeu . L’enfance que tu as consacrée, prolongée .Il y a une part d’innocence dans tes notes. Celles qui font la différence. Je t’écoute et je me relie instantanément à ma part d’enfance aussi.
Paco mon ami, je te connais en fait . Tu existes. Tu as montré que les sons sont autre chose que des sons , que les notes viennent d’un espace temps qui nous est proche . Tu es le paradoxe de la vie . Tu existes à travers la mort. Tu es quelque part entre les coulisses d’une scène et une galaxie où il fait bon vivre pour les musiciens.
Paco , je retournes dormir à présent car tu m’as réveillé cette nuit . Dans mes songes je t’ai vu . Comment fais tu pour être présent partout alors que tu n’es plus là ?
Ta présence me suit , tes mots que tu ne dis pas je les entend, et ton coeur qui bat ! je l’écoute , c’est ton rythme , ma pulsion et celle de tant de guitaristes, musiciens en devenir , simples mélomanes ou grands virtuoses de par le monde .
Paco de Lucia j’ai voulu parler de toi car tu as trouvé un moyen de traverser nos esprits , de nous percuter par ta chaleur et par ton inlassable quête du beau et du vrai
Ta leçon est gravée dans nos esprits , c’est une leçon d’humilité , un chemin vers la connaissance et vers l’émancipation .
SC
février 2022
alpha pictures
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